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Accueil > Archives > Séminaires des années précédentes > Séminaires 2015-2016 : archives > Mathématiques avec et sans discipline : Ethnomathématique, anthropologie, histoire 2015–2016

Axe histoire mondiale et anthropologie des sciences

Mathématiques avec et sans discipline : Ethnomathématique, anthropologie, histoire 2015–2016



Il existe nombre d’activités à caractère « arithmétique », « géométrique », ou encore « algorithmique » (tissage, divination, etc.), pratiquées dans le passé ou de nos jours dans diverses sociétés, pour lesquelles on peut se demander si elles relèvent des mathématiques, même si elles ne sont pas reconnues comme telles tout à la fois par celles et ceux qui les pratiquent et par le monde académique. Il s’agit d’une question épistémologique centrale du jeune champ interdisciplinaire qu’est l’ethnomathématique. D’autre part, l’histoire des mathématiques a, depuis quelques décennies, élargi son domaine des mathématiques disciplinaires aux mathématiques qui apparaissent dans la vie humaine en société, un ensemble de pratiques qui contribuent aux développements de la « science » mathématique de manière plus subtile, en la faisant vivre et en la modifiant. Après quelques séances d’introduction à ce domaine, le séminaire proposera cette année, d’une part, d’interroger ces pratiques au regard de l’histoire et de la philosophie des mathématiques, et d’autre part, de croiser ces perspectives avec celle que l’anthropologie propose concernant certaines de ces activités, notamment dans l’interaction entre pratiques numériques et géométriques.

Au cours du séminaire, nous présenterons plusieurs cas de rationalité mathématique : celle qui se manifeste dans les créations textiles et musicales, ainsi que dans la pratique de certaines activités procédurales (jeux de ficelle, dessins sur le sable…), mais aussi celles qui sont à l’origine de certaines pratiques disciplinaires en mathématiques, telles que la métrologie et la comptabilité en Mésopotamie ou, pour la renaissance européenne, la dialectique en algèbre et la pratique des tables.



Séminaire organisé par Marc Chemillier (EHESS), Giovanna C. Cifoletti (EHESS), Sophie Desrosiers (EHESS) et Éric Vandendriessche (SPHERE, CNRS)



PROGRAMME 2015-2016



Les mercredis de 13h à 17h (salle 3, sauf exception, RdC, bât. Le France, 190-198 av de France 75013 Paris), du 16 mars au 25 mai. Télécharger programme et résumés

16 mars, 30 mars, 13 avril, 4 mai, 18 mai, 25 mai


16 mars
: : Introduction / champ de l’ethnomathématique

  • Marc Chemillier (EHESS)
    Les mathématiques naturelles, modélisation des savoirs en contexte de tradition orale.
  • Giovanna Cifoletti (EHESS)
    Mathématiques et histoire sociale de l’époque moderne. Des mathématiques de l’oralité pour les lettrés du XVIe siècle.
  • Sophie Desrosiers (EHESS)
    Mathémathiques et textile.


30 mars
: : Jeux et hasard

  • Lisa Rougetet (Université Lille 3)
    Les jeux combinatoires, au cœur de la construction de la théorie mathématique des nombres surréels.
    Un des représentants majeurs de la catégorie des jeux combinatoires est le jeu de Nim. Il se présente de la sorte : on dispose sur une table des rangées d’objets, chacune en contenant un nombre quelconque, par exemple 7-5-3. Les deux joueurs, à tour de rôle, choisissent une des rangées, et y retirent, au choix un nombre d’objets : un, deux… ou la rangée entière. Le joueur qui prend le (ou les) dernier(s) objet(s) remporte la partie. Ce jeu combinatoire est le premier à avoir fait l’objet d’une analyse mathématique complète et généralisée (Bouton, 1901), même si on trouve des variantes à une pile – analysées dans des cas particuliers – dans les ouvrages de récréations mathématiques aux 16ème et 17ème siècles (Rougetet, 2014a). À partir de ce moment, un vif intérêt s’est développé autour du jeu de Nim et de ses variantes, notamment aux Etats-Unis et en Europe au sein de la collectivité des mathématiciens, permettant à la théorie mathématique des jeux combinatoires de se construire et de s’enrichir (Conway, 1976 ; Berlekamp et al. 2001-2004).
    Dans cette intervention, je me propose de retracer l’évolution de la théorie des jeux combinatoires grâce aux analyses de divers mathématiciens et de montrer comment un jeu d’une extrême simplicité a été le catalyseur de tout un développement mathématique. L’originalité de ce développement réside dans le fait que les jeux combinatoires sont non seulement aux racines de la théorie – tout comme certains problèmes récréatifs tels les ponts de Königsberg pour la théorie des graphes ou les quinze jeunes filles en théorie combinatoire (Chemla, 2014 ; Sesiano, 2014) – mais continuent d’en être les objets d’étude. Nous verrons également que ces jeux se pratiquent en dehors de toute considération mathématique, notamment en Afrique de l’Ouest où ils sont réservés aux hommes, souvent même aux chefs, le vainqueur marquant sa supériorité par sa connaissance de la stratégie gagnante (Béart, 1955).
  • Dominique Casajus (CNRS, IMAF)
    Géomancie et littérature : de Abû ‘Abd Allâh Muhammad al-Zanâtî à Italo Calvino.
    La géomancie dite arabe, tout comme la géomancie touarègue, fait intervenir des procédures qui reviennent, à partir de l’itération d’opérations qui ne peuvent donner à chaque fois que deux résultats, à produire de l’aléatoire. Ces procédures permettent de fabriquer un assemblage ordonné de signes (le "tableau géomantique") que le géomancien doit interpréter. Dans la version arabe (et aussi bien, dans la version latine), ce tableau associe des sujets à des prédicats, et permet donc au géomant de proférer des assertions. Dans la version touarègue, ce tableau se lit comme une intrigue, ou du moins l’esquisse d’une intrigue. De sorte que, dans ce cas, le mécanisme géomantique réalise à sa manière "machine narrative combinatoire" dont rêvait Italo Calvino.


13 avril, salle 015
: : Mathématiques en Mésopotamie
Séance organisée avec l’équipe du projet ERC SAW

  • Camille Lecomte (CNRS, ArScAn)
    Mesurer des champs et des surfaces au 3e millénaire en Mésopotamie :
    l’arpenteur et ses techniques

    Les archives administratives des cités sumériennes du 3ème millénaire (vers 2350 avant notre ère) comprennent d’importants lots relatifs à la gestion des domaines agraires des temples et à leur mesure dans le cadre de l’élaboration de cadastres. Certains des textes agraires, notamment ceux venant de la cité de Girsu, indiquent plusieurs mesures précises, incluant les côtés et la surface, qui permettent de mieux comprendre les procédures employées par les arpenteurs pour calculer des surfaces. Si, généralement, ces surfaces correspondent à celles de vastes terres exploitées pour l’agriculture, quelques rares textes nous renseignent davantage sur la mesure de petites surfaces.
  • Cécile Michel (CNRS, ArScAn & Projet ERC SAW & Centre for the Study of Manuscript Cultures, Hambourg)
    Pratiques mathématiques marchandes chez les Assyriens au 19e siècle avant notre ère : compter, peser et calculer.
    Les marchands assyriens installés en Anatolie centrale ont laissé sur place plus de vingt mille tablettes cunéiformes témoignant de leurs activités commerciales. Ces archives documentent une notation des nombres privilégiant l’usage de fractions, et témoignent d’une utilisation intensive du système des mesures pondérales sexagésimal pour quantifier les métaux qu’ils commercialisaient. Les calculs les plus fréquents qu’ils exécutaient consistaient en conversions : il s’agissait de calculer le poids d’argent nécessaire à l’achat d’un poids connu d’un autre métal.
  • Christine Proust (CNRS, SPHERE & projet ERC SAW)
    Diversité des approches de l’évaluation des surfaces en Mésopotamie méridionale au 3e millénaire avant notre ère.
    L’approche de la quantification des surfaces n’était pas la même pour un gouverneur intéressé par la quantification de l’étendue des domaines qui étaient sous sa responsabilité, pour un fonctionnaire en charge de la collecte des impôts, pour un contremaître gérant une production agricole, ou pour un savant intéressé par les aspects mathématiques. Je vais montrer, au travers de quelques exemples, comment ces buts et ces intérêts divergents ont conduit à des méthodes de calcul différentes. J’analyserai, dans chaque cas, quelle conception des surfaces était en jeu.


4 mai
: : Mathématiques et musiques

  • Matthieu Husson (CNRS- SYRTE & projet ERC SAW)
    Ars nova : mathématiques et musique à Paris au début du XIVe siècle.
    A Paris dans la première moitié du quatorzième siècle de profondes transformations des champs de la création et de la théorie musicale conduisent les acteurs médiévaux à parler d’Ars nova. Le changement tient principalement à un rapport renouvelé au temps en musique médié dès lors par les mathématiques plutôt que par la prosodie. Ce changement théorique répond à la fois à une nouvelle position de la discipline musicale dans le cadre de l’enseignement universitaire et à de nouvelles tendances dans la composition polyphonique tendant à donner plus d’autonomie (rythmique et poétique) à chacune des voix. Nous examinerons au travers de textes de Jean de Murs (le principal théoricien de l’Ars nova) et de pièces de Guillaume de Machault (le principal compositeur de l’Ars nova) les différentes dimensions de cette évolution profonde des pratiques musicales savantes de l’Europe médiévale.
  • Marc Chemillier (EHESS, CAMS)
    Les automates musicaux du XVIIIe siècle à nos jours.
    En mathématique, les automates désignent des objets abstraits permettant de représenter des transitions entre événements. Bien avant que le concept ne soit introduit sur le plan théorique au vingtième siècle dans le sillage des travaux de Turing, il était déjà présent en musique dans les jeux de dés musicaux en vogue au dix-huitième siècle ainsi que dans de petits objets appelés à cette époque « componiums » où les degrés de liberté du système étaient matérialisés par des cylindres en rotation autour d’un même axe. Aujourd’hui les automates musicaux sont utilisés dans des recherches sur l’improvisation avec ordinateur qui ont donné naissance au logiciel ImproteK (http://improtekjazz.org), mais aussi dans des analyses de musiques traditionnelles d’Afrique centrale où ils permettent de représenter certaines propriétés remarquables de séquences musicales. On donnera des exemples de ces différentes applications.


18 mai
: : Calcul digital

  • Eva Caianiello (EHESS)
    Le calcul digital dans le Liber Abaci de Léonard de Pise.
    Après un aperçu sur les origines du compte digital à travers les témoignages d’auteurs latins, je montrerai la parfaite symétrie de la représentation des nombres dans la tradition occidentale et orientale, à travers deux textes, l’un, De ratione temporum, au chapitre De computo vel Loquela digitorum redigé par le moine irlandais Bède le « Venerable » au VIIe siècle, l’autre, le Farhangi Djihangiri, dictionnaire persan du XVIe siècle. Léonard de Pise [1180, 1241] se rattache à la tradition de Bède mais au même temps il s’en écarte pour la mineure importance qu’il lui accorde dans le Liber Abaci (1202,1228) ainsi que pour la description des centaines et des milliers sur la main gauche. On retrouvera la même description de Léonard de Pise dans la Summa de Arithmetica (1494) de Luca Pacioli (1445-1509). A l’aide de la multiplication « à croix » d’origine indienne, le Pisan enseigne à multiplier deux nombres à trois chiffres par cœur et avec les mains. En conclusion, je présenterai quelques procédés anciens et modernes du compte digital provenant des différentes aires géographiques.
  • Jeff Oaks (Univ. of Indianapolis)
    Calcul digital dans les mathématiques arabes.
    Le calcul digital, le calcul avec les chiffres indiens et le calcul en base soixante avec les chiffres abjad étaient les trois manières principales de faire des opérations arithmétiques dans les sociétés islamisées. Les livres d’arithmétique en arabe traitent souvent de deux ou trois de ces systèmes, comme en essayant de les combiner. De tels ouvrages hybrides étaient communs dans le Maghreb. Dans cet exposé je décris l’inclusion de techniques du calcul digital dans les livres qui, d’après le titre, sont consacrés au calcul indien. Les auteurs sont al-Hassār (fin du XIIe siècle), Ibn al-Yāsamīn (m. 1204), Ibn al-Bannā (fin du XIIIe siècle), et al-Hawārī (1305).


25 mai, salle 015

: : Nœuds et boucles

  • Roberto Casati (Institut Nicod)
    Les représentations des nœuds entre forme et action.
    Je vais puiser dans un corpus de techniques, de pratiques et de représentations dans le but de montrer dans quelle mesure compositionalité, éléments lexicaux et normatifs peuvent figurer dans une théorie des nœuds, avec la perspective d’explorer un domaine de la compétence humaine à l’interface entre pensée, perception et action.
    • 1. Lecture des pages 531-536 de Przytycki, J.H., 1998 Classical Roots of Knot Theory, in : Chaos, Solitions and Fractals, 9, 4/5, 531-545. URL : http://www.maths.ed.ac.uk/~aar/papers/przytycki2.pdf
      2. La nôtre est une culture académique du texte et de l’image, mais très peu une culture de l’action, du faire. Les participants sont invités à apprendre à faire un "nœud de chaise" en s’appuyant sur des aides telles que table de nœuds, diagrammes, descriptions, vidéos, animations, services d’un collègue... avant le séminaire. (Un court atelier pratique ouvrira la présentation. Si vous savez déjà faire un nœud de chaise, essayez un nœud qui vous est encore inconnu.) Vous pouvez noter (1) les références de l’aide que vous avez utilisé, (2) les difficultés rencontrées lors de l’apprentissage). Il est recommandé de venir en salle avec un bout de ficelle.
      Source de l’image : https://www.pinterest.com/pin/493707177873970508/
      Chris Herzfeld &Dominique Lestel, Knot tying in great apes : etho-ethnology of an unusual tool behavior, Social Sciences Information, 2005, 44 (4), pp.621-652. URL : http://ssi.sagepub.com/content/44/4/621
  • Eric Vandendriessche(SPHERE, CNRS)
    Ethnomathématique et modélisation des jeux de ficelle.
    La réalisation de figures de ficelle a pu être observée depuis la fin du 19e siècle dans diverses aires culturelles, et tout particulièrement dans des sociétés dites de tradition orale. Evoquée souvent par l’appellation « jeu de ficelle », cette activité consiste à appliquer à une boucle de fil une succession d’opérations effectuées avec les doigts, mais aussi parfois avec les dents, les poignets ou les pieds, de manière à obtenir une figure. Dans une première partie, nous verrons qu’une analyse ethnomathématique des jeux de ficelle met au jour la manifestation d’une forme de rationalité mathématique associée à la création des figures caractéristiques de ces jeux dans certaines sociétés. Dans un second temps, je décrirai un outil de modélisation - introduit par le mathématicien T. Storer (1988) - qui permet de comparer et classer les algorithmes de jeux de ficelle, au travers d’une analyse focalisée sur les mouvements du fil pendant le processus. Cet outil conceptuel permet notamment de formuler des hypothèses sur la manière dont certains acteurs ont créé ces procédures.
  • Sophie Desrosiers (EHESS)
    Des sacs, filets et autres objets faits de boucles ou de nœuds. Questions à Roberto Casati.
    Nœuds et boucles sont utilisés ponctuellement mais aussi pour créer des lignes, des surfaces et des objets textiles en 3D d’une grande diversité. On essayera de comprendre comment le développement des nœuds dans l’espace modifie notre perception des uns et des autres.
    • Jack Lenor Larsen with Betty Freudenheim, Interlacing,Tthe Elemental Fabric, Kodansha International, 1986.
      Annemarie Seiler-Baldinger, Textiles. A classification of techniques, Washington, Smithsonian Institution Press, 1994.