Atelier organisé par Agathe Keller, Clemency Montelle et Christine Proust à l’occasion de la résidence de Christine Proust à l’IMéRA (Institut Méditerranéen de Recherches Avancées).
Les tables numériques ont été l’un des instruments de calcul les plus utilisés depuis les débuts des mathématiques jusqu’à l’apparition des ordinateurs. Par « table numérique », nous entendons tout type de texte établissant des correspondances entre deux ou plusieurs phénomènes qualitatifs ou quantitatifs, et s’attachant à disposer sur une surface plane, d’une manière donnée, des séries de valeurs numériques associées à ces phénomènes. On peut s’intéresser aux tables en tant qu’outils de calcul, mais aussi en tant qu’objets révélateurs des pratiques scientifiques et sociales dans divers milieux professionnels. Pourtant, les milliers de tables que l’on trouve à toutes les époques, dans toutes les civilisations et dans tous les domaines des mathématiques « pures » et « appliquées » (en un sens très large de ces termes) ont été relativement peu étudiées en tant que telles. Le projet ANR “Histoire des Tables Numériques”, dirigé par D. Tournès, réunit ainsi des chercheurs en histoire des sciences, avec des compétences sur les diverses traditions mathématiques (Égypte, Mésopotamie, Grèce, Inde, Chine, Monde arabe, Europe depuis le Moyen-âge) et sur les divers contextes d’intervention des tables (astrologie, astronomie, métrologie, arithmétique, analyse mathématique, calcul numérique, mécanique, sciences physiques, sciences de l’ingénieur, mathématiques scolaires, administration et gestion, etc.), afin d’envisager pour la première fois la problématique des tables dans son ensemble.
Organisatrices : Agathe Keller (CNRS, université Paris 7, Unité SPHERE), Clemency Montelle (Université de Canterbury, Nouvelle Zélande), Christine Proust (SPHERE ; IMéRA)
Participants : Agathe Keller, Clemency Montelle, Koolakkodlu Mahesh, Kim Plofker, Ramasubramanian Sharma, Venkateswara Madhukar Mallayya, Venketeswara Pai, Jean-Michel Delire.
La rencontre organisée à l’IMéRA a eu pour objectif d’étudier de manière intensive des textes provenant d’Inde et contenant des tables numériques.
La littérature en langue sanskrite portant sur les mathématiques et l’astronomie (mais également sur la métrologie et la musique), lorsqu’on regarde la longue période du Ve au XVIIIe siècle, offre une large palette d’objets qualifiés par les historiens de « table » :
des listes versifiées de données, notamment de différences de sinus ;
des dispositions de nombres dans un tableau, afin d’effectuer sur eux des opérations notamment des carrés magiques ;
à partir du XIIème siècle, des textes de tables astronomiques et astrologiques (kosthaka) inspirés des zij arabes.
À une période ancienne donc, apparaît d’un côté un dispositif graphique, qui joue sur des lignes et des colonnes, permettant d’interpréter des données puis d’opérer sur elles – la numération positionnelle décimale pouvant elle-même être considérée comme une notation tabulaire des nombres. De l’autre, on trouve des listes versifiées qui servent à énoncer et peut-être à stocker de l’information. Ceux qui nous transmettent ces tables débattent pour savoir comment elles ont été élaborées et si elles sont fautives. Ainsi voit-on deux caractéristiques des « tables » disjointes et séparées. Ont-elles servi de terreau d’où émergent les kosthaka ?
Notre approche cherche à élucider, comprendre et mettre en lumière les pratiques et savoirs mathématiques impliquées par la construction et l’usage de ces tables : techniques d’approximations numériques et d’optimisation des calculs, ingéniosité graphiques ou textuelles pour organiser les données, adaptation, intégration et transformations de matériel mathématique provenant de sources en langue arabe et persane. Elle cherchera aussi à mettre en lumière les contextes dans lesquels ces tables sont apparues et ont été utilisées, décrivant ainsi les interactions entre auteurs de traités, scribes et usagers des tables.
Très peu de travaux ont jusqu’à présent été conduits sur ces questions. Très peu de tables ont tout simplement été étudiées et publiées.
La dernière journée de l’atelier a été consacrée à la synthèse des travaux et à leur restitution :
- Présentation générale du projet "Histoire des tables numériques" (projet ANR), par Agathe Keller (SPHERE, CNRS et université Paris 7)
- Compte-rendu synthétique des 5 jours d’atelier, par Clemency Montelle (University of Canterbury, New Zealand)
- La circulation des savoirs liés aux tables dans les mondes anciens :
- la circulation des tables numériques au sein de la Mésopotamie, par Christine Proust (SPHERE ; IMéRA)
- les phénomènes de circulation au sein du sous-continent indien